Dark planet, the inhabited island [Sujet libre]

"Ne t'énerve pas. S'il te plaît. Je ne voulais pas te choquer, j'ai juste répété ce que le mort m'a dit."

La réaction était violente, comme toujours, apparemment. Sandy commençait presque à s'y habituer. Il se tassa dans l'eau jusqu'à ce que seuls ses yeux surnagent à fleur de surface, comme ceux d'une petite grenouille intimidée. L'homme au dessus de lui avait l'air d'un titan. Mais pas de ceux qui foudroient les mortels d'un seul regards. Plutôt de ceux qui s'écroulent et écrasent tout sans l'avoir voulu... Ah non, il ne fallait surtout pas qu'un d'eux s'écroule maintenant. Ce n'était pas le moment.

Mettant de côté ses considérations de pudeur personnelle, Sandy sortit prudemment de l'eau, souleva la coupe de raisin et la présenta à l'homme en face de lui. Après une hésitation, il prit sa main et l'entraîna sur la sorte de couchette qui longeait le bord de la piscine, parsemée de coussins éparpillés. Certains étaient tachés de vin rouge. Il s'était bien amusé, l'ancien chef, tant qu'il avait profité... Le fantôme faisait des commentaires à cet effet ; et plus il l'écoutait, plus Sandy comprenait quelque chose. Ça expliquait aussi le grand-père.

"Je crains que le temps ne passe pas, ici, pas comme il faut. C'est ce qui doit bloquer les morts. Et comme toujours, le crime profite sûrement à quelqu'un."

Il attendit d'être sûr que le cracheur de feu soit stabilisé, à défaut d'être vraiment calme. Puis il se laissa glisser dans l'eau à nouveau, histoire de dissimuler son corps, même si c'était maintenant un peu ridicule. C'est que ça le gênait vraiment. Il n'était pas tout à fait content de ce qu'il montrait. Enfin, en ce qui le concernait, il s'en fichait, tant qu'il était en bonne santé et au maximum de l'entraînement supportable ; il avait grandi dans un cadre imprégné de philosophie pragmatique, et le physique lui était une chose indifférente. Mais il avait reçu trop de remarques pénibles pour s'attendre à autre chose.

"Je connais un détective, à La Nouvelle-Orléans, il m'a donné un truc pour élucider les affaires compliquées. Il appelle ça "changer de lunettes". Il dit que les situations incompréhensibles, ça n'existe pas, faut juste trouver les bonnes lunettes. Je ne sais pas si on peut l'appliquer ici..."

Non, ils ne pouvaient pas. Pas encore. La situation était trop floue, ils n'avaient pas assez d'éléments. Mais il pouvait toujours expliquer la méthode ; ça donnerait quelque chose à réfléchir à ce type qui semblait penser avec ses poings. Il s'en voulait un peu de l'avoir mis dans cet état. Malgré tout le danger qu'il dégageait, Arkhas lui faisait de la peine. Il avait surtout l'air perdu. On aurait dit qu'il ressentait tout avec une intensité dramatique. Un écorché vif. Sandy n'avait pas été comme ça depuis son adolescence, et à seize ans c'était déjà terminé. On lui avait reproché d'être trop froid, trop fermé. Il s'était replié dans le fond de ses pensées, le jour où on lui avait appris qu'on lui cachait des choses sur ses origines. Et quelles choses... Il s'était réconcilié avec les responsables, mais il était resté sur la défensive. L'offensive n'était jamais redevenue sa méthode.

Il s'accouda au bord de l'eau et posa sa tête sur ses mains, en se forçant à présenter au cracheur de feu l'exemple d'un calme amical.

"En gros... Disons qu'un mec appelle les flics en disant que sa copine vient de se faire tuer par un intrus dans l'appartement. Tu considères toute l'histoire, l'aspect des lieux, les horaires, les mots qu'il prononce, l'ordre de ses actions... en partant du principe qu'il dit la vérité. Puis tu changes de lunettes, tu reconsidères tout en partant du principe qu'il ment. Premier scénario : il protège quelqu'un. Deuxième : il a peur de quelqu'un. Troisième : c'est lui qui l'a tuée... Au bout d'un moment, tu vas tomber sur une version qui te semble plus logique que les autres. Tout tombe en place comme une évidence, comme les pièces d'un puzzle. Rien ne paraît bizarre, rien ne te laisse sur ta faim : tout s'enchaîne comme des perles."

"Trop de métaphores," remarqua le fantôme dans son coin, avec une petite moue.

Qu'il aille se faire voir. Ce n'était pas un exercice de style. Sandy n'avait aucune certitude qu'il se faisait bien comprendre de ce type sanguin et dangereux. Il préférait rester dans l'eau, surtout au cas où une gerbe de flammes le prenne pour cible à l'improviste, à la faveur d'une phrase mal interprétée, d'une vexation involontaire. Enfin, rien ne lui garantissait que ça le sauverait.

"On n'est pas en danger. On sera logés et nourris. Essayons de survivre quelques heures ici et d'observer ce qui nous entoure, et quand on aura des éléments de compréhension, on cherchera des cibles. D'accord ? Ou... tu préfères que je m'en occupe, et je viens te chercher quand j'ai trouvé ?"