Grande étendue d'eau ouvrant ses bras pour accueillir le sourire des marins, le lac est calme, il ne rumine jamais. Corne d'abondance maritime, les poissons semblent s'y laisser pêcher. Malgré le sel qui heurte la peau et la craquelle de tâches blanchâtre, certains viennent s'y baigner, flottant par la force saline. Il arrive de voir des hommes et femmes se faire baptiser, se faire emporter sous l'eau et en ressortir la joie à l'âme comme si les péchés étaient eux partis à contre courant.

Terrain vague, à deux pas du lac et de ses vagues qui ronronnent. Ici ricochent les rires et les sourires, l'écran où est projeté le film du jour illumine les faces et les voitures parquées juste devant, pareil à un troupeau. Tous les soirs l'endroit s'emplit de brouhaha, certains dans l'intimité de la banquette arrière fabriquent des souvenirs qu'ils ressortiront quand leur enfant demandera si elle est née dans les roses, ils répondront non et pourtant, maman portait bien un parfum à la rose ce soir là.

Aussi vieux que les vieilles villes, le marché où l'on pousse la voix, l'on chantonne les prix, c'est toujours à celui qui aura la plus grosse intonation, qui palabrera la plus belle mélodie. Les poissons sont sur leurs plateaux d'argent comme le fût Jésus. Tout le monde s'affère au petit matin quand le ciel est un mélange lacté d'orange, de bleu et de rose, et puis on fait les belles affaires quand le soleil chauffe les langues, et puis enfin, le soir, on dit au revoir pour de plus belles histoires.

Sinistre endroit où l'on vient apporter les fleurs aux défunts partis trop tôt, sous la terre ils se décomposent et nourrissent la terre, mais la grande question est : où va l'âme ? Sombre-t'elle comme un bateau à la coque trouée ? Le cimetière est imposant, il donne l'impression d'un village de décédés, au centre une petite crypte où fument des bougies, où se déclament des prières. Sur le sol, le marbre est encore propre, les larmes des visiteurs ont séché. Parfois, on retrouve des tombes pillées, renversées. Dans quel monde vit-on ? Ne serions-nous plus en sécurité dans le ventre même de la mort ?

On croirait presque entendre les hurlements furieux du locataire qui voguait dans ses rêves de grand marin. Et si l'on regarde bien, la terre racornie montre l'endroit où sa femme perdit la vie. Le phare et la maison mitoyenne, il brûla le tout dans un excès de folie. Aujourd'hui certains n'ont plus peur de s'aventurer dans la bicoque maudite ou dans le phare en lambeaux. On y organise des soirées entre jeune auprès du feu, on raconte l'histoire de l'endroit sans trembler et pourtant, et pourtant, ce que la mémoire oublie le lieu ne peut l'oublier.