Seth Lanz - en attendant l'activation du compte

history

Au fond d'une préhistoire obscure, un vieillard instruisit un jeune garçon aux cheveux fous, dont les chasseurs ne voulaient pas dans leur cercle mystique. Il lui enseigna un secret de magie. Les alliages de métaux fondus que l'on coule dans le coeur d'une pierre creusée, ruisseau de lave fluide et incandescente. Puis, la tribu réunie, la grande cérémonie. Le jeune apprenti arma ses forces ; il brisa l'étau de pierre, et en tira l'épée de bronze, la nouvelle arme qui réduisait à néant le pouvoir des chasseurs, leurs colliers de crocs et leurs poignards de silex. Il leva l'épée vers la nuit, et la lune y jeta des éclats rougeoyants.
Dans certains mythes, ce garçon deviendrait un roi de légende. Dans d'autres, il fut élevé au rang de dieu. Qui sait où est la vérité ?
En pays étrusque, l'âge du bronze lui consacra la cité de Velzha, jusqu'à ce qu'elle soit prise par les Romains et que tout s'écroule. On l'appelait Velch, le Forgeron. Sous le nom de Sethlans, il présidait aux grandes catastrophes, les pluies de feu, les torrents de lave, les incendies de forêts ; et c'était lui également qui les apaisait. Créature ambiguë, créatrice et destructrice, au marteau illuminé d'étincelles dorées sur une face, et souillé de gouttes de sang sur l'autre. La grande ambiguïté morale de celui qui apporte le feu.

Mauro Cristofani écrivait en 1984 un énième ouvrage sur la civilisation étrusque, lorsqu'au cours d'une promenade, il fut abordé par un jeune clochard dans un parc. Un garçon aux cheveux fous et au regard égaré, trébuchant et trempé de pluie comme s'il sortait d'une tempête ; pourtant, aucun orage à l'horizon. L'historien aurait pu en avoir peur, et l'éviter, ou même prévenir les carabinieri qu'il était suivi par un individu inquiétant. Mais il décida de le saluer. Sait-on jamais, il cherchait peut-être simplement son chemin.
Le garçon était amnésique. Il disait se nommer "Seth Lanz". Un touriste du Nord ?

Etonné par cette coïncidence, l'historien le conduisit à l'hôpital et repartit avec l'impression d'avoir manqué la chance de sa vie.
On le rappela aussitôt : son protégé était en train de tout détruire. Une rage incompréhensible s'était emparée de lui, et il s'était retranché dans la cave, où il hurlait. L'infirmière au téléphone dit qu'elle avait l'impression de travailler au-dessus d'un volcan. Cette fois, Cristofani songea qu'il ne pouvait pas rester indifférent.
Il paya les dégâts occasionnés, et installa le jeune homme dans sa villa près de Florence, où il partageait son activité entre la rédaction de traités d'Histoire, de linguistique, et la peinture. Sa famille avait peur du "sauvage" et le pensait mentalement handicapé. Il se rendait cependant très utile auprès du vieux jardinier, qui l'employait comme homme à tout faire et lui trouvait chaque jour de nouveaux talents de bricoleur.
La mémoire ne lui revenait pas.

Cinq ans avaient passé. Le jardinier était mort, et Lanz avait pris sa place. Puis l'historien était mort ; son épouse, qui partageait ses centres d'intérêt mais certainement pas ses affinités avec ce drôle de personnage, le mit à la porte et le remplaça. Seth se mit à errer. Il avait vécu dans une sorte d'engourdissement mental depuis son arrivée à Florence ; ses émotions s'éveillaient, et elles n'avaient rien d'agréable.
Les tableaux de Cristofani lui manquaient, ces arbres rouges, étincelants d'éclats dorés. Il déclencha un incendie criminel dans la campagne voisine, et fut emprisonné pour vagabondage, actes de pyromanie, et séjour illégal sur le territoire italien.
Il était en train de mourir de faim, ayant oublié de se nourrir. La prison le sauva pour un temps, et il s'y trouva plutôt à son aise. On le transféra dans un centre psychiatrique, puis on jugea, d'après ses réponses à quelques tests, qu'il était probablement américain, et on le renvoya dans son pays. Il avait dû être acteur, d'après ses souvenirs. Mais les films de fantasy s'étaient mêlés dans son esprit avec la réalité de sa jeunesse. On lui souhaita bonne chance, et on s'en débarrassa à l'aéroport de Los Angeles.

En 1993, il tombait entre les mains d'un gang qui utilisait son caractère instable pour des combats d'arène. Crazy Lanz bossait la semaine sous les ordres d'un garagiste mafieux, et se battait le samedi soir ; ses gains ne lui passaient pas entre les doigts, d'ailleurs il ne semblait pas bien comprendre les échanges humains au-delà du troc. Le garage partit en flammes au bout de deux ans d'obéissance aveugle, et personne ne comprit ce qui s'était passé.
On le supposa mort. Mais il avait simplement pris la voiture du patron et il était parti. Son instinct le ramenait vers l'Est, peu à peu, au fil des errances. Il avait pris des habitudes plus saines ; il savait qu'il devait manger environ une fois par jour, et son observation des relations humaines commençait à s'affiner. Il se faisait à sa nouvelle peau, si inconfortable soit-elle.
Il chassait. Il donnait un coup de main sur une foire. Il travaillait pour une saison, sur un chantier ou sur un ranch. Parfois, il cognait trop fort et passait quelques nuits en cellule. Cette histoire de films, ça l'intriguait, mais ça restait trop abstrait pour lui. Enfin, à La Nouvelle-Orléans, il se risqua à visiter une exposition d'art. Il tomba en arrêt devant un masque étrusque, et il éclata en sanglots.
C'était la première fois qu'il pleurait, depuis sa réincarnation.
C'était la première fois qu'il avait les idées parfaitement claires. Et il se maudissait. Et le masque, face à lui, pleurait des larmes de métal.